La mort de la mère … oct 91

Premier Octobre 1996

Ma nièce,

J’ai déjà eu envie de t’écrire mais ne te connaissant pas assez, il ne me restait que la description de la climatologie dans ma région (ce qui eut provoqué un léger assoupissement de ta part) ou le hasard de questions pertinentes du genre POUR QUI ? POURQUOI ? POUR QUAND ? qui t’auraient mise, j’imagine, dans l’embarras.

Faute d’inspiration, je t’envoie donc une histoire doublement vécue : dans la réalité mais dans le rêve également.

Pour mon histoire peut-être es tu trop jeune ?… mais te sachant émotive et te devinant conservatrice, j’ai changé les dates et ajouté cinq ans :

Nous sommes maintenant en 1996 et en fouillant ma cave l’autre soir, j’ai retrouvé les négatifs des vacances passées il y a 5 ans à Vitrac en Dordogne. Tu trouveras ci-joint quelques tirages très foncés, c’est fait exprès (Disons que c’est PERIGORD très noir et un peu blanc).

Je ne me souviens plus si ces vacances furent bonnes ou mauvaises ou ni bonnes ni mauvaises, mais je me souviens être ensuite passé chez mes parents dans le Gard…

LE SOLEIL !

Il faisait si chaud que le soleil vrillait mes sens et incrustait ma mémoire :

Alors que je jouais avec l’enfant autour d’un petit bassin du village, les effets conjugués du voyage avec lui, de mes rapports avec le soleil ainsi que la vue épisodique de mes parents, facilitaient une certaine errance intellectuelle. L’idée farfelue que chaque individu était un cloîtré ou une nonne me traversa l’esprit tant il y a d’instants futiles autour de rares sensations.

L’observation me plût et m’occupa entièrement car parfois on peut digérer le malsain qui trotte dans nos vies.

LA VIEILLESSE !

Dans un vrai monde cela aurait mérité une bonne cuite, mais une grande partie du monde n’existera jamais pour chacun de nous.
Ta mère ne se serait pas enivrée non plus, pas de peur que l’alcool fasse trembler la main qui a peint les tableaux, qui a donné la caresse … non, mais peur de perdre la lucidité ou la mémoire des ancêtres à Santa Paula devant la mer, l’idée des yeux salés par l’espoir, cette merveilleuse consolation.
A-t-elle changé ? Elle a laissé à son amie la liberté de suivre son destin sans brouiller les cartes, sans violence, elle lui a permis de vivre à fond son désastre.
A présent, pense-t-elle qu’on ne peut tout soulever ?

LA MORT !

L’enfant hurlait de rire en m’aspergeant et j’imaginais l’étranger de Camus qui suivait la voiture de sa mère morte, son étonnement devant son calme, son absence d’émotion.
Pourtant, le matin encore en sortant de la mer, le sable tiède, l’ivresse, la vraie !

Je me comparais à cet homme, et me réconfortais en me jugeant complètement différent car je n’étais pas surpris.

Rassuré que ma quête ne soit pas celle là, je perçus le froid du mur à peine frôlé, sous le figuier.
Le moment était particulièrement vrai, je n’étais pas tombé dans le piège tendu par moi, j’obtenais une confirmation de mon passé, m’accrochais à cette pensée … ensommeillé dans le grand midi.

LA VIE !

L’enfant ne voulait pas partir de cette place déserte, il vivait son plaisir, exigeant que je m’assoie sur le banc.

Je m’abandonnais, prisonnier de sa volonté et espérant qu’elle survive à tout, ses paroles étaient noyées par une musique liquide qui me transportait vers celle des fontaines de Séville, sous la même chaleur, il y a 15 ans, me poussant à chercher ce que j’avais fait depuis.

Cloîtré, non, incertain, et puis la voix
de l’enfant revenue, comme une caresse,
comme une question dont la réponse resterait
à jamais obscure … dans l’ombre ne plus bouger,
rêver, vivre encore.

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2 réponses à La mort de la mère … oct 91

  1. adeline dit :

    rester dans le rêve d’un enfant est un sentier vers le bonheur
    Meursault pauvre garçon . étranger seul et rejeté il finit par se détester tant qu’il se réfugie dans l’indifférence puis vit la vie de l’autre à tel point qu’il agit à sa place.
    oublie d’employer le moyen qui pourrait sinon l’innocenter minimiser sa peine et a tant besoin de reconnaissance qu’il souhaite une foule de spectateurs
    qui trouverait un adjectif pour le nommer pour qu’il se sente vivre enfin.

    j’ai écrit des haiku en lisant ce livre je vais vous les envoyer par courriel

    en pensant à ce jeune qui a voulu tuer trois de ses camarades de classe allez savoir pourquoi j’ai pensé à Meursault

    la mère… j’étais adolescente quane elle est morte

  2. maisoublanco dit :

    Dépasser Meursault ! Sujet qui a désespéré beaucoup de philosophes.
    Des Haïku … merci … je vais de ce pas sur Haïkunet pour me préparer à comprendre la contrainte.
    Entre Meursault et les héros de Truman Capote … tout est dit. Capote, en plus de s’impliquer, nous montre la modernité de ces meurtres (j’ai chanté et personne ne m’a écouté, j’ai peint et personne ne m’a vu – à présent tout le monde me connait).
    N’est-on pas toujours adolescent à la mort de sa mère ? Je ne pense pas. On est soit petit enfant (chameau), soit adolescent (lion), soit adulte (homme) ou vieux (petit enfant). C’est aussi faire ce point qui est douloureux.

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